Samedi, août 01st, 2009 | Author: Pierre

Une des raisons pour lesquelles, à coté de mes activités d’enseignement, j’apprécie de travailler dans les livres d’occasion, c’est que nos lectures ne sont pas conditionnées uniquement par l’actualité éditoriale. La contingence des rencontres prime, dans mon cas c’est même « haut la main ». Par exemple, hier matin, rien ne laissait présager que j’allais rencontrer Odile, de son nom Vaudelle. Odile fut la femme du professeur Choron, alias Georges Bernier.

Odile a publié un livre deux ans avant sa mort prématurée en 1985 (elle n’avait que 51 ans) intitulé Moi, Odile, la femme à Choron. La petite histoire d’Hara-Kiri et Charlie-Hebdo chez Mengès. Un livre incroyable tissé de centaines d’anecdotes plus drôles les unes que les autres. Ca commence comme un conte, avec une quatrième de couverture rédigée par Cavanna: “C’était au temps héroïques du colportage, quand Choron n’était pas encore Choron, et donc Odile pas tout-à-fait Odile. Il y avait une fille parmi les filles, quand une fois on l’avait vue on ne voyait plus qu’elle. Fraîche comme une pomme, belle comme ses dix-huit ans, pas plus compliquée que le soleil sur la rosée du matin, elle riait toujours, à tout, à rien, parce qu’elle aimait rire. Quand on pensait à elle, c’était ce rire qui vous venait d’abord à l’esprit. Voilà Odile telle que je l’ai vue, telle que je la verrai toujours. A la première approche, elle fut happée par l’astre Choron. Depuis ils tournent, planètes jumelles. Mais qui est le satellite de l’autre? Ca vit, ça secoue et c’est pas triste”.

On y apprend comment Odile a rencontré Georges, comment Hara-Kiri est né. Quelle équipe de bosseurs Choron et Cavanna ont rassemblé autour d’eux, quelle équipe de bringueurs aussi. L’histoire bouillonne, elle ne m’a pas lâché. Enfin si, mais ce n’est pas l’histoire qui m’a lâché, ce sont mes paupières: à une heure du matin, elles m’ont dit « basta », rideau. J’ai dû laissé à contre-coeur le livre débuté en fin de journée, tout de suite à la sortie du boulot.

Dès la jaquette j’ai su qu’il y aurait un truc entre nous. L’illustration de feu Reiser est magnifique, enfin comme peuvent l’être ses dessins, ciselés et radicaux, ils vont à l’essentiel, on y voit Odile « smackant » les miches de son « Jo », radieuse, la main levée de la victoire: des baisers de son crane chauve à ses miches rebondits…

Cest le livre à Odile Vaudelle quest la femme à Choron

C'est le livre à Odile Vaudelle qu'est la femme à Choron

On apprend en effet que pour l’avoir cela n’a pas été facile. Jo était le genre baroudeur sans attache, mais Odile est amoureuse. Vraiment, passionnément, alors elle déploie des trésors de folle sagesse pour demeurer avec lui, et elle y parvient. Michèle naitra de leur union. Michèle Vaudelle, puis Bernier plus tard lorsque « Jo » aura reconnu sa fille en 1971 parce qu’il avait raté la date à la maternité.

La fille à Odile et Jo

La fille à Odile et "Jo"

Odile écrit drôlement bien. C’est bien simple, elle te parle, c’est pourquoi je ne pouvais pas l’interrompre avant que mes paupières ne m’y obligent. Et puis elle te parle avec un humour terrible. J’ai dû quitter le lit conjugale tellement elle m’a fait marré au désespoir de mon épouse qui cherchait le sommeil. Non vraiment très drôle. Elle écrit avec une décontraction hallucinante, même pour les évènements tragiques de sa vie, comme la mort prématurée de sa soeur aînée où j’ai troqué illico le sourire jubilatoire pour une tristesse profonde, les émotions de la vie qui changent vite de colories. Dans ce livre on rencontre la simplicité d’une femme qui aime bien se marrer, qui a été entourée d’un petit monde de créatifs chahuteurs, qui n’avaient pas le profil de premiers de la classe, et qui n’étaient pourtant pas des manches, des gars intelligents, des gars truculents, des rêveurs, des épris de liberté traquant la bêtise ambiante.

On y apprend que le petit Georges a été un gamin brillant à l’école, une vraie perle pour sa famille. Et puis Odile raconte aussi tout en pudeur et en humour, les années de guerre et l’Indochine qui ont marqué celui qui allait devenir le professeur Choron. Peut-être le plus incroyable que l’on retient du bonhomme vu par les yeux de l’amour, c’est son incroyable audacité, il se laissait rarement démonté (même par les bras des huissiers ou par la police qui le passait à tabac), sa générosité aussi, il offrait à manger et boire tout le temps, et son côté imprévisible mais qui voit loin quand même. Il donne l’impression d’être complètement dingue (enfin il devait l’être un peu quand même), mais souvent la manière dont les situations se résolvent montre juste qu’il choisit des chemins qui sont, c’est le moins qu’on puisse dire, non conventionnels. C’est comme si malgré toutes les contraintes du quotidien (le pognon entre autre), il expérimentait toujours une grande liberté dans les moyens d’y répondre.

Il y a une auto-dérision jubilatoire dans les lignes d’Odile. Elle explique par exemple que lorsque « Jo » a été bombardé par ses soins et ceux de toute l’équipe d’Hara-Kiri, professeur Choron, donnant des cours sans queue ni tête à de multiples jeunes femmes alanguies, soumises, offertes, ça faisait marrer les copains, mais pas forcément elle: « Ben au tout début je tiquais quand même légèrement sur les bords… je me posais quelques questions sur ce qui pouvait bien se passer pendant les séances de photos… Je ne l’ai jamais dit ouvertement, histoire de ne pas jouer les emmerdeuses, mais ça me travaillait un petit peu. J’avais beau me dire que ça n’était que des séances de travail où le résultat, la qualité de la photo, étaient plus importantes que le frais minois du mannequin, une sournoise jalousie me handicapait l’optimisme. »

Toutes les histoires qu’elle raconte avec l’aide de Christian Bobet, et tous les rires qu’elle provoque, tracent aussi l’histoire invraisemblable des projets journalistiques les plus incroyables que je connaisse. Comment ils sont nés, comment ils ont vécu et comment, pour la plupart ils ont périclité. Une partie de cette histoire a également été racontée par Cavanna dans son livre Bête et méchant, sous-titre d’Hara-Kiri tiré d’une lettre d’insulte que le journal avait reçu. C’est une drôle de citoyenneté que l’on voit se dessiner dans ce livre, une citoyenneté très originale, utopique et pourtant pragmatique, totalement subversive parce qu’invitant sans cesse à l’auto-dérision, une citoyenneté drôle pour “les copains d’abord”.

Après cette lecture, on se sent plus léger et curieusement plus grave aussi. Notre ego pèse moins lourd, juste le poids de l’insondable versatilité de l’être.

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21 Responses

  1. 1
    lebegue sylvia 
    Jeudi, 18. mars 2010

    Je suis Sylvia, la Femme du Professeur Choron. Je l’ai rencontré en 1985 (23/06 exactement) et avons vécu ensemble jusqu’au bout de son chemin. La promesse que je m’étais faite intérieurement lorsque je l’ai rencontré.
    Si Odile a connu le meilleur (à savoir tout ce dont elle a largement bénéficié, ainsi que sa fille), j’ai connu l’envers de ce décor, à outrance. Certes, la vie n’a épargné personne, mais moi en particulier, j’en ai pâti. Tout le monde semble ignorer que le Professeur Choron a eu une vie après Odile - qui du reste n’a jamais été sa femme. En revanche, nous avions lui et moi - avant son décès - décidé de nous marier.Il l’avait officiellement annoncé à Michèle. Celà ne s’est pas fait. (Sa fille ? la maladie ?..). Actuellement j’ai besoin de formuler tout ce que j’ai vécu tandis que chacun se cantonne à ce qu’il sait ou semble savoir. Je renonce à rester dans l’ombre d’un amour de 20 ans de vie commune main dans la main et dans les pires tragédies qui nous ont unies, alors que d’autres couples se seraient déchirés dans les mêmes circonstances. Je ne fais pas mention de ce que j’ai appris tardivement au sujet du couple Odile/Prof, mais la souffrance ne peux s’apaiser que lorsqu’en en parle. Et j’en parlerai. Je veux aujourd’hui pouvoir dire : J’Existe et J’étais auprès de Lui quand vous étiez loin… “Si proche, si loins…” Je vous laisse le loisir de faire la démarcbe de cette subtilité

  2. Bonjour Sylvia,

    je viens de mettre en ligne le commentaire que vous m’avez envoyer dans la nuit. Je connaissais votre existence parce que le professeur Choron, malgré qu’il fut pudique, parlait de vous dans les rares interviews qu’il accordait. Michèle également avait mentionné votre rencontre avec son père.

    D’ailleurs je ne connaissais pas du tout Odile. J’avais 15 ans lorsqu’elle est décédée. Mes parents lisaient avec une religieuse délectation Charlie Hebdo, et les rires que ce journal a suscité chez eux ont ensoleillé ma jeunesse bien que je ne comprenais pas très bien de quoi il était question. Je n’ai découvert l’existence d’Odile que de manière fortuite, par l’intermédiaire de son livre.

    Je crois qu’il est sain de parler de l’amour qui vous unissait au professeur Choron.

    Cordialement,

    Pierre

  3. Odile etait elle la soeur de Annick Vaudelle ?

    Merci Richard

  4. Bonsoir Richard,
    je ne sais pas si Odile était la soeur d’Annick. Elle parle tout au début de son livre de sa soeur sans la nommée, et de sa triste histoire. Tondue à la fin de la guerre par les FFI sans qu’Odile n’en comprenne vraiment la raison, elle est restée prostrée chez elle, n’acceptant que la visite de son fiancée. Elle a été emportée par un oedème pulmonaire alors qu’elle n’avait pas encore vingt ans.

  5. 5
    lebegue sylvia 
    Mardi, 13. avril 2010

    Je ne peux que m’emporter lorsque je vois la famille (Bernierà et les “faux amis” qui ont entourés michèle dans l’émission de Sabatier. Il aurait tellement souhaité autant d’attention du temps de son vivant. C’est bien glauque que de devoir mourir avant d’être reconnu pour ce qu’on a fait.
    A quand mon tour ?

  6. Il m’arrive de plus en plus souvent d’entendre “pourquoi ne fais-tu pas un récit de tout ce qui a marqué ta vie pendant 20 ans aux côtés du professeur choron…”? Je n’attends qu’une proposition honnête qui pourrait m’être faite. Parfois il faut donner un coup de pouce au destin.. Je crois qu’il est temps “d’enterrer le silence”. je n’ai plus la capacité de vivre en continuant à faire voeu de pauvreté, de silence et de protection vis-à vis de tous ceux qui m’ont (nous ont) trahis. J’éprouve actuellement un désir très fort de m’exprimer et de m’aventurer dans l’exploration peu banale d’une vie pour l’instant “sous scellé”…

  7. je parlerai en temps voulu mais je sais que personne n’en sortira indemme

  8. Je souhaiterais que l’on rectifie “la femme du professeur choron” en parlant de Odile Vaudelle. Elle était sa compagne et la mère de Michèle. Le nom de Bernier (pour Michèle) n’a fait l’objet d’une démarche de la part sa mère, Odile, que pour donner le nom d’un père à une fille née de père inconnu. (c’était après la loi Giscard).

  9. Je ne doute pas que l’on peut aimer un enfant (même s’il est né sous x ou de père inconnu), ce qui a été le cas de Michèle Vaudelle devenue Bernier. Mais elle aurait dû être reconnaissante lorsque son père, dans la détresse la plus totale, la fille était absente.
    Moi, Sylvia, ai passé 20 ans à sacrifier toute mon existence de femme, de mère, de vie professionnelle, me suis abaissée à faire des choses et vivre la pire des existences, alors que Michèle était au courant, mais n’a JAMAIS rien fait pour son père. (Nous nous sommes retrouvés tous les deux le Prof et moi) à lutter jour après jour contre les coups bas du destin, tandis que Michèle vivait dans l’opulence.

  10. Merci pour l’article. Tres utile.

  11. puis-je avoir les coordonnées de Herbert Fleener.. Tout cela restera bien entendu secret
    Merci

  12. Bonsoir Sylvia,
    Pour vous, je fus “Andrée”, une voix pour traverser quelques heures trop lourdes à porter.
    Lorsque de ma mémoire surgissent parfois vos désarrois, vos rires gourmands, votre chagrin, je vous imagine estompée par le temps, oubliée par les gens, cheminant vaillamment sur le fil du hasard, voûtée par les souvenirs que seul Didier sait adoucir.
    Même si les éditeurs se font attendre, écrivez, Sylvia !
    Amical souvenir

  13. 13
    la colporteuse 
    Lundi, 15. novembre 2010

    gros bisous Sylvia,

  14. Andrée,
    Je suis agréablement surprise de vous lire… Combien de fois ai-je pu vous contacter pour me donner quelques conseils et visions sur la route qu’il me fallait suivre. Aujourd’hui avec le recul, je crois être en mesure de déceler une toute petite partie de ce qu’était et pouvait ressentir le Prof envers moi.
    Je vous recontacterai aussi rapidement que possible. En attendant, je dois me faire écouter par un professionnel de santé, car j’ai gardé de nombreuses séquelles…
    Didier est toujours à mes côtés, mais nous ne sommes plus jamais repartis là bas, à la campagne.

  15. lorsque je lis les rares extraits du “livre de Odile”, je trouve décidément que l’ensemble manque de qualité - tant au sujet des faits, du réalisme, des émotions profondes (inexistances) et de relief. On n’a pas envie d’aller jusqu’au bout. Ceci dit, si Odile avait dû écrire ses mémoires, aurait-elle fait mieux ? On n’a pas forcément besoin d’avoir fait un master en philo pour s’exprimer, en revanche celui qui l’écrit n’est pas au fait de sa réussite… mais celà n’engage que moi…

  16. Salut Sylvia,
    Je suis tombée sur cet article complètement par hasard en visitant ce blog. C’est incroyable de te trouver là. J’espère que tu vas bien et que la vie t’es plus douce. Bisous. Gladys

  17. Bonsoir Gladys…
    Merci.
    Que deviens-tu toi-même ? Ca fait bien loin le colportage…
    Ca me ferait un sacré plaisir de te revoir.
    Je n’ai rien oublié, même les plus petits détails de 20 ans de vie…. Tu vois ! ça fait lourd à porter mais j’y parviens.
    Quant à parler de douceur de l’existence, je ne suis pas encore arrivée à l’extase de P. Delerm, sur les ptites choses de la vie !
    Laisse moi tes coordonnées si tu veux bien

    Je t’embrasse de tout coeur

  18. 18
    Richard 
    Samedi, 19. mars 2011

    Colporteur de zero en 1955 Bd Bonne nouvelle , pouvez vous me donner la ville de naissance d’Odile svp ?
    Merci Richard

  19. Pour répondre à Richard, la ville dans laquelle est née Odile, doit etre dans les environs de Savonniere ou cette petite ville elle-même

  20. Bonjour Sylvia,
    Merci d’avoir répondu à ma question.
    Richard

  1. [...] la voir partir si jeune. J’ai évoqué son livre, Moi Odile, la femme à Choron,  dans un précédent article, livre aujourd’hui oublié ayant pourtant suscité plusieurs commentaires, soit de ma famille [...]