Archive for the Category » Livre de fond «

Jeudi, juin 10th, 2010 | Author: Pierre

La vie a continué à évoluer au cours des huit prochains millénaires. La nature prenant conscience d’elle-même, n’a plus uniquement placé le fleuron de cette conscience dans l’humain, mais également dans d’autres formes de vie. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait toujours fait, mais l’homme, orgueilleux, est le plus souvent passé à coté de ces autres formes de vie intelligentes qui témoignaient pourtant à l’ensemble de la biosphère de précieuses expériences de vie. La nouveauté venait du fait que les prochains millénaires allaient révéler à l’homme ces autres formes de vie, avec lesquelles il se sentirait parfois en concurrence.

Un album magnifique, une vision poétique des possibles

Un album magnifique, une vision poétique des possibles

Tel pourrait être le préambule de la très belle bande-dessinée de Miguelanxo Prado, intitulée Fragments de l’encyclopédie des dauphins, publiée en français en 1988 sous le titre Demain les dauphins. more…

Samedi, mars 13th, 2010 | Author: Pierre

Après une quinzaine d’années passée à travailler chez Gibert, cette parole a franchi le seuil de mes lèvres pour heurter les tympans d’Agnès. Un tel aveu est sans doute difficile à entendre quand on sait que 70% du chiffre d’affaire est réalisé sur les nouveautés qui paraissent chaque semaine en librairie. Pourtant je crois qu’une partie importante de mon attachement viscéral au Service Achat Occasion, c’est-à-dire l’endroit où les personnes viennent vendre spontanément leurs livres, CD et DVD, vient de cette émancipation du diktat de la nouveauté en librairie.

Aujourd’hui nous avons la chance (depuis les lois de Jules Ferry sur l’école gratuite et obligatoire en 1881, lois qui ont assurées à la fin du Grand Siècle le succès de Gibert) de pouvoir apprendre à lire dès l’école primaire. Cette ouverture est immense, elle permet à chacun d’entrer en relation avec toute la diversité des savoirs et des expériences humaines. Mais cette possibilité, si importante soit-elle, ne signifie pas automatiquement sa réalisation effective. Nous sommes passés en l’espace de quelques siècles de la lecture intensive, lectures axées bien souvent sur les textes contenus dans la Bible dont l’interprétation était soufflée par les prêtres, à une lecture extensive. Aujourd’hui nous lisons de tout, articles, essais, romans, BD, journaux en ligne… Une explosion de créativité qui sature le mode de production de l’écrit que l’humanité connaissait jusqu’alors.

Le seul moyen pour donner rapidement un “sens marchand” à cette surproduction éditoriale consiste à sentir quel vent souffle sur le marché du livre. Sentir la clientèle, sentir sa sensibilité, humer les modes de pensée, les modes tout court, qui animent pour un temps la communauté des hommes, tant dans le domaine vestimentaire que littéraire. Et bien heureusement, lorsqu’on a la chance de rencontrer en amont un travail éditorial de qualité, il est fréquent de voir apparaître sur les bons de commande de nouveautés que nous présentent quotidiennement les représentants, des trésors d’intelligence et d’invention littéraire.

Alors pourquoi ne pas croire à la nouveauté en librairie? Sans doute parce qu’à mon sens nous négligeons le temps de l’assimilation. Lorsqu’il m’arrive de rencontrer une belle oeuvre, parfois un chef-d’oeuvre, j’ai besoin de me trouver dans de bonnes dispositions pour le savourer. Et s’il m’arrive de l’avaler gloutonnement, j’en éprouve par la suite la frustration de ne pas avoir été présent comme il le fallait à la beauté du texte, à sa complexité, tissage intelligent d’idées et d’émotions. Le temps de la production du texte est d’ailleurs lui-même immense. Tolkien a produit Le seigneur des anneaux et l’univers dans lequel ce roman évolue, sur plusieurs décennies. Par quel tour de magie peut-on imaginer pénétrer cette oeuvre en la lisant sur une semaine ou quinze jours? Pour ma part, cela est impossible. C’est comme tomber amoureux, on peut le réaliser instantanément, mais le vivre quotidiennement c’est une autre histoire. L’amour ne se résume pas au flash de la rencontre, ni la rencontre d’une oeuvre à la consommation de son texte.

J’ai réalisé que la plupart des oeuvres qui m’inspire, le font sur longtemps, elles demandent que je m’y plonge à intervalles réguliers. Et je ne parle pas forcément des essais dont la narration s’articule autour des idées plus lentes à assimiler que les sentiments et les émotions suscités par la forme romanesque. Je parle aussi des romans et des narrations picturales qui se sont développées le siècle dernier comme la BD, dont la forme se rapproche tout autant du roman que de la poésie. Lire Jodorowsky signifie me délecter de l’Incal, tout en sachant qu’il croisera encore et encore mon chemin au fur et à mesure de mes maturations successives. Et que dire de Nausicaa de Miyazaki, même après plusieurs lectures attentives, la richesse du récit, l’impact des dessins, leur puissance d’évocation, demeurent un mystère fécondant.

Enfin, ne pas croire à la nouveauté signifie aussi s’émanciper des effets de mode que j’évoquais plus haut. Ce décalage m’est salutaire. Non pas que je me désintéresse de ce qui anime mes semblables, seulement bien souvent les préoccupations médiatisées ne m’apparaissent pas avec l’urgence qu’on voudrait leur donner. Tout est affaire de sens, le sens que l’on donne à son inscription dans le monde: si l’actualité littéraire affuble cette inscription d’un sens nouveau, il m’est alors possible de m’y plonger comme cela avait été le cas avec le livre de Vizinczey intitulé Eloge des femmes mûres. Mais mon expérience quotidienne au Service Achat Occasion me montre toute la synchronicité des rencontres littéraires a priori fortuites. Ces rencontres alimentent la plupart de mes lectures. D’ailleurs bien souvent, ces livres sont les perdants de l’histoire de l’édition, oubliés, dévalués, les libraires n’en veulent plus parce qu’à un moment de leur histoire, les lecteurs les ont boudé, où même plus simplement ignoré. Les exemples sont légions, mais régulièrement au coeur de ces flux de livres, se trouve une perle rare. C’est ainsi qu’à Marseille j’ai découvert L’économique et le vivant de René Passet, ou plus récemment le livre d’Odile Vaudelle, Odile, la femme à Choron. C’est ainsi que les merveilleux textes de Manuel de Dieguez ne se rencontrent plus dans les fonds de librairie, et que l’oeuvre de Ludovic de Gaigneron n’a pas été rééditée depuis les années 50, idem pour le travail autobiographique passionnant de Jeanne Ancelet-Hustache, traductrice de maître Eckhart, ou les romans de Mario Meunier.

La nouveauté est comme toute l’histoire éditoriale qui se déroule quotidiennement sous mes yeux d’acheteurs d’occasion: elle est faite de textes essentiels rarement, de grands textes parfois, et d’une multitude de livres dévalués qui un jour, pour certains ont rencontré un succès, et pour beaucoup d’autres, un oubli presque instantané. A la faveur de ce qui se manifeste spontanément au coeur de mon expérience quotidienne, vient se loger parfois un trésor que je reconnais mais qui curieusement ne prend de valeur qu’à mes yeux. Le travail sur l’occasion réintroduit la richesse d’un fond que la pression de la nouveauté tendrait à effacer si l’on n’y prenait garde. Il réintroduit au coeur de la mémoire oublieuse des libraires, toute la fraîcheur des livres anciens que l’on me propose. Il dépoussière notre regard habitué au traitement de la nouveauté, et, avec une audace anarchique, vient enrichir l’offre des livres qui orne nos étagères. Il permet enfin au libraire de se faire un peu “éditeur de circonstance” en offrant à un auteur, le temps d’une rencontre, la possibilité de voir son texte connaître un réseau de diffusion élargie.

Mardi, février 16th, 2010 | Author: Pierre

Ce texte est à la fois une synthèse et une variation autour de l’article de Ernst von Glasersfeld intitulé “Introduction à un constructivisme radical” qui se trouve dans le livre La construction de la réalité coordonné par Paul Wazlawick. On retrouve dans ce livre un ensemble de contributions issues de domaines variés: philosophie, psychothérapie, sociologie, mathématiques, biologie, littérature etc… Toutes ces contributions ont en commun de partager une conception constructiviste de la connaissance. Mais que signifie adhérer à une conception constructiviste de la connaissance?

Un livre passionnant qui ouvre des horizons insoupsonnés dans la relation intime que nous tissons avec notre environnement

Un livre passionnant qui ouvre des horizons insoupsonnés dans la relation intime que nous tissons avec notre environnement

Les implications d’une approche constructiviste de la connaissance

Comme l’écrit Glasersfeld au début de son article, le constructivisme est une approche non conventionnelle, qui est plutôt mal vécue par de nombreuses personnes parce qu’elle remet largement en question des certitudes pourtant fermement ancrées dans nos manières de vivre et “de concevoir le monde”. Le constructivisme affirme selon Glasersfeld “que l’être humain […] est responsable de sa pensée, de sa connaissance et donc de ce qu’il fait”. Mais cette affirmation, dans la généralité de son propos, ne permet pas forcément de saisir la radicalité de ce qu’elle implique. Or cette implication est saisissante si l’on ajoute à la suite de Glasersfeld que “nous n’avons personne d’autre à remercier que nous-mêmes pour le monde dans lequel nous pensons vivre”. more…

Samedi, septembre 19th, 2009 | Author: Pierre

Imaginez que vous soyez un simple ouvrier, sans histoire dont l’une des préoccupations principales est de se mettre en quatre pour faciliter la vie des personnes qui vous entourent. Imaginez qu’il vous arrive de lire des livres de philosophie, non pour vous cultiver, mais simplement parce que vous souhaitez trouver des réponses à la question: comment bien vivre? Imaginez qu’il vous arrive régulièrement de désamorcer des conflits, parfois d’aider la voisine et ses enfants à payer son loyer quand les fins de mois sont trop difficiles. Imaginez que vous soyez sans confession particulière, attentif aux autres mais sans autre motif que celui de leur présence dans votre vie.

Oui, en énumérant toutes ces qualités, je réalise déjà la distance qui peut séparer de Joseph Turner. Mais bon, qu’à cela ne tienne, je continue un peu cet exercice…

Imaginez que vous ayez été très amoureux d’une personne aux moeurs plutôt répréhensibles suivant les codes moraux, une personne prête à louer son corps pour gagner sa vie. Imaginez enfin que dans l’exercice de votre métier, vous êtes riveteur, c’est-à-dire un ouvrier qui fixe les poutres métalliques constituant l’armature des buildings, vous fassiez un jour une chute de 24 étages, une centaine de mètres du sol.

A priori nous sommes arrivez à la fin de notre exercice d’imagination… Pourtant vous vous relevez. Il y a des dizaines de témoins. Votre montre a volé en éclats, mais vous, vous êtes indemnes, pas une égratignure. Les médecins n’en reviennent pas, les journalistes veulent tous un scoop, vous devenez à votre corps défendant une super star.

C’est dingue comme histoire. Quel sens peut bien prendre votre vie après un tel événement? C’est tout le propos du livre de Charles Sailor, Le second fils de l’homme, more…

Samedi, août 01st, 2009 | Author: Pierre

Une des raisons pour lesquelles, à coté de mes activités d’enseignement, j’apprécie de travailler dans les livres d’occasion, c’est que nos lectures ne sont pas conditionnées uniquement par l’actualité éditoriale. La contingence des rencontres prime, dans mon cas c’est même « haut la main ». Par exemple, hier matin, rien ne laissait présager que j’allais rencontrer Odile, de son nom Vaudelle. Odile fut la femme du professeur Choron, alias Georges Bernier.

Odile a publié un livre deux ans avant sa mort prématurée en 1985 (elle n’avait que 51 ans) intitulé Moi, Odile, la femme à Choron. La petite histoire d’Hara-Kiri et Charlie-Hebdo chez Mengès. Un livre incroyable tissé de centaines d’anecdotes plus drôles les unes que les autres. more…

Jeudi, mai 21st, 2009 | Author: Pierre

Les économistes sont souvent considérés comme des scientifiques au mieux passéistes dans leur méthode (s’inspirant de modèles obsolètes alors que d’autres sciences ont déjà connues plusieurs révolutions depuis le XIXème siècle), au pire comme serviles à l’égard des pouvoirs en place (n’ayant finalement pour fonction que la légitimation des politiques à l’oeuvre). De nombreux exemples peuvent étayer cette affirmation.

Ma première remarque serait d’écrire qu’à mon sens toute la noblesse de l’économie réside dans sa capacité à être au service de… Mais bien évidemment, cette noblesse est battue en brèche lorsque ce service est rendu à ceux qui n’en ont nullement besoin, lorsque ce service ne fait que renforcer des positions déjà dominantes (instrumentalisation de l’économie), plutôt que d’oeuvrer à une répartition plus juste des richesses et à aider chaque liberté à s’épanouir.

De nombreux économistes ont travaillé dans ce sens. Le père Joseph Wresinsky l’a fait sur le terrain avec le mouvement ATD Quart Monde. René Passet est un autre exemple éclatant. more…

Mardi, avril 21st, 2009 | Author: Pierre

Après l’oeuvre de Bernard Boisson, je suis en train de lire le dernier livre de Marc-Alain Ouaknin intitulé Zeugma. Ouaknin est un auteur avec lequel j’aime avoir rendez-vous. C’est un ami qui met sa curiosité et son érudition au service des autres. Son style est magnifique, et sa vocation à l’interprétation incroyable. Fidèle en cela à la tradition judaïque puisque sa lecture des textes est toujours reliée à quelques réminiscences d’autres lectures, à l’instar de la mahloquet qui offre une lecture ouverte et féconde du Talmud. Ouaknin offre une véritable folie interprétative, le lire ne signifie pas chercher la vérité, mais plutôt rendre vivant chaque texte, en créant ou en révélant de multiples pistes possibles de lectures.

Le style est également important dans l’écriture de Ouaknin. Le rythme de son écriture, et le son de ses mots lorsqu’on prend la peine de lire ses textes à haute voix, révèlent une musicalité de son texte. Je me souviens de la lecture que je faisais dans le train de ses Méditations érotiques more…

Vendredi, février 06th, 2009 | Author: Pierre

Une première introduction en France, teintée d’a priori et de méconnaissance

Arne Naess n’est pas encore un homme très connu en France. Norvégien, né en 1912, il vient de disparaître le 13 janvier dernier à l’âge de 96 ans. Pour les curieux qui cherchent en vain depuis quelques années à découvrir davantage sa pensée, son nom reste lié à celui de l’écologie profonde, ou « écologie radicale », traduction de l’anglais « deep ecology ». more…

Mercredi, janvier 21st, 2009 | Author: Pierre

C’est à la fin du XIXème siècle qu’Edward S. Curtis (1868-1952), en tant que photographe déjà reconnu dans sa ville de Seattle (du nom du chef amérindien Sealth), décide de photographier systématiquement les tribus indiennes dont la civilisation n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même. more…

Samedi, janvier 10th, 2009 | Author: Pierre

Andras Vajda, le narrateur du roman de Stephen Vizinczey Éloge des femmes mûres nous livre au début de ses mémoires que c’est paradoxalement la fréquentation des églises et des frères franciscains dans sa prime jeunesse qui lui inspirèrent le respect sacré des femmes.

Contrairement à Bertrand, le narrateur de L’homme qui aimait les femmes de Truffaut, Andras reconnaît également le jaillissement de sa passion dans l’amour maternel et son cortège d’amies more…