Lundi, mars 29th, 2010 | Author: Pierre

Odile la rieuse est partie en 1985. Avec les fous-rires qu’elle a suscité, il était difficile de s’imaginer la voir partir si jeune. J’ai évoqué son livre, Moi Odile, la femme à Choron,  dans un précédent article, livre aujourd’hui oublié ayant pourtant suscité plusieurs commentaires, soit de ma famille ou d’amis, soit de journalistes qui préparaient un hommage à Michèle Bernier. Je viens de voir que cet hommage sera diffusé le 10 avril prochain dans l’émission “L’aventure inattendue” présentée par Patrick Sabatier.

Michèle Bernier, enfant

Michèle Bernier, enfant

Et puis Sylvia, la seconde compagne du professeur Choron, m’a écrit un commentaire pour exprimer une partie de la souffrance qui l’envahit depuis la disparition de son amour en janvier 2005. Aujourd’hui, alors que beaucoup de personnes se réclament de l’influence du professeur Choron, le rôle de Sylvia demeure ignoré. Elle a pourtant vécu 20 ans avec lui, en l’accompagnant dans sa tentative de poursuivre l’aventure du colportage de journaux libres et indépendants, affichant la dérision et la provocation. Mais les temps ont changé depuis les années 60 et 70. Sans doute est-il plus dur au cours des années 90 de faire vivre un journal comme La Mouise alors qu’en apparence il semblerait plus facile de nos jours d’exprimer librement toutes les opinions. Sans doute avons nous aussi intériorisé un contrôle plus important de nos pensées. En réalité nous ne sommes pas plus libres de nous exprimer parce qu’aujourd’hui nous sécrétons de l’inquiétude. Et je crois que cette émotion inhibe notre capacité à rire et à nous émerveiller pleinement.

Sylvia a accompagné fidèlement Choron jusqu’à sa dernière toilette pour laquelle, amoureusement, elle l’a habillé de son costume de scène comme en témoigne Delfeil de Ton dans son article “Un hors la loi grandiose” paru dans le Nouvel Observateur du 13 janvier 2005. Les mots de Delteil de Ton, encore tout humide des larmes qu’il a versé à la disparition d’un ami, d’un maître ou tout au moins d’un exemple, imprime toute l’admiration qu’il éprouvait pour ce professeur qui apprend à “désapprendre”: “Choron est né pauvre. Il est mort pauvre. Il a vécu comme un riche. Somptueux, généreux, honnête. Qu’ils aillent prétendre le contraire, les Mozarts qu’il a couvés, à qui il a donné des ailes. Vous connaissez beaucoup de patrons à qui il est arrivé d’habiter dans une cave pendant que ses anciens employés pétaient dans la soie et dans de beaux appartements?”. Aujourd’hui Georges Bernier que la plupart des gens connaissaient sous l’identité du professeur Choron, repose au cimetière Montparnasse à coté d’Odile, sa première compagne. Et Sylvia demeure dans l’ombre de la partie la plus visible de la vie du professeur: celle qui s’étend des années 60 au début des années 80, lorsque Charlie Hebdo est mort et que Choron s’est lancé dans la chanson.

Je ne connais pas très bien Choron, et finalement, je l’aurai davantage approché par l’amour que les autres, surtout ses deux compagnes, ont pu exprimer à son égard que par les propos outranciers qu’il a pu tenir, ou les comportements hors normes qu’il a pu arborer sur les plateaux télé. Malgré mon ignorance, une pensée me vient immanquablement lorsque je le vois cabotiner ou provoquer dans les interviews: le professeur Choron était la parure dont se fardait Georges Bernier lorsqu’il apparaissait en public. Yann Kerninon, dans son article intitulé “L’homme qui ricane encore dans le cimetière” paru dans Libération du 18 janvier 2005, l’exprime très bien lorsqu’il écrit que “le professeur Choron était un gentleman déguisé en salaud. Il a passé sa vie à rire avec talent d’une société de salauds déguisés en gentleman”.

On dit parfois que l’humour est la pudeur du désespoir. S’il en est ainsi, on peut imaginer quels abîmes a pu expérimenter Choron tant il était un génie de l’humour. A la faveur d’une interview qu’il accordait en 1988 à Thierry Ardisson, Choron témoignait de sa rencontre avec Sylvia. La rencontre de deux êtres cabossés par les accidents de la vie. Sylvia, également présente sur le plateau, témoigne de son parcours atypique dans lequel elle a crûment goûté aux vicissitudes de la vie, entre recherche spirituelle et avilissement sexuelle, entre désir de libération et émancipation des manipulations d’une secte. Nos parcours habituellement normés ne résistent pas vraiment à ce plongeon. Sylvia, dont le regard manifeste beaucoup d’intelligence, relate son parcours simplement, avec le désir évident de le partager. Choron est outrancier, comme il l’était très souvent, mais son regard est stupéfiant. Il y a un tel fossé entre l’expression de son regard, d’une immense tendresse, et les paroles qu’il prononce. Paroles qui semblent effectivement celles d’un parfait salaud, misogyne et provocateur! J’imagine qu’il devait être bien difficile de vivre aux cotés de Choron, de le voir assumer et dénoncer toute l’absurdité de nos comportements, de le voir s’exposer librement et à n’importe quel prix avec pour seule récompense la satisfaction d’avoir pu inviter quelques consciences à approfondir leurs réflexions, à s’émanciper de leurs conditionnements, en passant par l’électrochoc de la provocation. Choron, dont les mots semblent ignorer le socialement correct, livre ses fantasmes ou ses idées en public comme s’il se parlait à lui-même.

Au cours de la conversation, comme s’il s’agissait d’une anecdote, Choron lance qu’après 30 ans de vie commune, Sylvia l’a aidé à surmonter la mort volontaire d’Odile. “Elle s’est flinguée aux barbituriques” lâche-t-il alors qu’Ardisson s’enquérait de connaître l’état dans lequel Sylvia avait trouvé Choron le soir de leur première rencontre. Devant un Thierry Ardisson qui se la joue “super-cool, on est entre pote et on s’allume des clopes devant l’oeil indiscret de la caméra”, Choron se dépoile avec un mélange de désinvolture et de gravité qui scotche. Ardisson ne relève rien de cette révélation tragique, d’ailleurs le peut-il vraiment? N’est-il pas sensé produire du divertissement? Et Sylvia semble tour à tour agacée ou sur la réserve, stupéfaite des confessions d’un Choron fanfaron dont elle connaît l’intimité. Décidément le professeur fait exploser les cadres de référence.

Choron ne peut laisser indifférent, comme le pôle d’un aimant, il attire ou repousse suivant notre réceptivité. Bien que les projets qu’il a partagé avec Sylvia n’aient pas rencontré le même succès que ceux qu’il avait fait vivre avec Odile, Cavanna et toute leur équipe, cette nouvelle histoire mérite néanmoins d’être connue. L’exemplarité d’une aventure, et l’inspiration qu’elle nous offre, ne se mesure pas à l’aune de son succès populaire ou commercial, mais aux valeurs qu’elle a permis de déployer et de faire vivre quotidiennement. J’espère que Sylvia trouvera les ressources de la raconter.

Voir et écouter Choron m’invite à questionner en “mon âme et conscience” comme on a coutume de le dire, le sens de toutes les circonstances que nous traversons, et la manière dont nous nous y relions. Il me reste au final les échos du Bodhicaryâvatâra de Shantideva dans la belle et toute nouvelle traduction que Padmakara a publiée en 2007:

“Quand nous posons les yeux sur un être,
Que se soit avec franchise et bienveillance
Et pensant que c’est grâce à lui
Que nous atteindrons la bouddhéité”.

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11 Responses

  1. 1
    sylvia 
    Samedi, 8. mai 2010

    Bonsoir,
    J’apprends, mais je le savais déjà, qu’une Place Georget Bernier était en projet dans la ville d’Aubréville. Il s’agit du seul vouloir (et pouvoir) de sa fille. Qui a posé la question à moi, SYLVIA, la seule qui l’ai accompagné pendant 20 ans tandis que toute la famille s’enrichissait sur mon dos ?
    Je n’ai pas de haine mais je souhaite mettre en place une réalité bien sévère (pour ceux qui m’ignorent). Le Prof n’aimait ni Aubréville (il en gardait quelques bons souvenirs), ni les habitants qu’il jugeait fourbes). C’est la raison pour laquelle pendant toute la période où nous sommes restés ensemble (20 ans), personne ne le voyait dans le village (en ce qui me concerne, les langues sont toujours restées bien pendues… pensez-vous ! un écart de 31 ans, il fallait bien que je sois une fille “légère”… Eh bien pour toutes ses langues malsaines, il faut savoir que lorsque j’ai rencontré cet homme, il était totalement démuni - par la perte tragique de sa compagne, et la ruine. Je me suis lancée le défi de le rendre à la vie… Rien que par un regard qui en disait long. Je me souviens qu’il m’avait dit un jour : tu m’as ressuscité…. Je suis heureux maintenant, j’ai une p’tite femme qui travaille et je peux me promener dans Paris….” (journal intime). J’ai 5 cahiers de ces années Bref. tout ça pour rester dans l’anonymat le plus strict à tel point que tout ce que j’écris sur internet et qui a une quelconque relation avec le Prof, est effacé ou n’est pas “diffusable”.
    Je commence à être un peu “chaud bouillant” sur ces affaires dont j’aurais pu me passer. La maman du Prof. me disait souvent :”Vous savez Sylvia, pour être heureux, vivons cachés”. Elle était gentille et parfois dure. Mais c’était une “bûcheronne des forêts d’Argonne”…. Je l’aimais bien, mais… il subsite un mais…

  2. 2
    sylvia 
    Samedi, 8. mai 2010

    Comment dois-je faire pour avoir les avis des personnes qui sont sur votre site car j’ai le sentiment de me parler à moi même ?!

  3. Bonjour Sylvia,
    j’espère que vous allez bien. Les commentaires que vous laissez à la suite des articles, sont lus par les personnes qui lisent ces articles, mais il ne s’agit pas d’un forum. Votre adresse électronique ne figure d’ailleurs pas sur le site pour des raisons de confidentialité. Sans doute, pour votre projet d’écrire un livre sur votre vie avec le Professeur Choron et les difficultés que vous avez rencontrées dans vos projets communs, serait-il plus judicieux de créer vous-même un blog où vous pourriez vous exprimer librement. Il existe aujourd’hui de nombreuses solutions simples et gratuites sur internet pour le faire. Il vous suffit de chercher dans un moteur de recherche l’expression “créer un blog” pour trouver une multitude de solutions à la portée de tous les utilisateurs d’internet, même les plus novices.
    Comme je vous l’avais déjà confié, je crois qu’il serait judicieux d’écrire à propos de l’amour qui vous unissait à Georges Bernier. Cavanna, même s’ils n’ont plus travaillé ensemble par la suite, n’a eu de cesse d’exprimer son amitié pour Choron, et le génie qu’il lui reconnaissait en tant qu’infatigable créateur. On devine dans ses propos qu’il devait être bien difficile pour lui de collaborer professionnellement avec Choron, mais il lui exprime aussi une grande affection, et même de l’admiration. Dans Choron dernière il dit “Vous n’avez pas connu Choron. Le Professeur. Moi, oui Eh bien, il était dans la mouise, il a fait un journal qu’il appela La Mouise, qu’il fit vendre sur le trottoir par d’autres gars dans la mouise. Il n’avait pas inventé la chose. D’autres avaient fait des journaux parlant de SDF, vendus par des SDF. Seulement, ces cons, ils appelaient ça Le Bec-de-Gaz, Le Caniveau, La Détresse, et ils y entassaient des chialotteries, des pleurnicheries, des appels à la pitié… Les cons. Choron emplit La Mouise de rigolades, de grosses blagues sur les SDF, justement, et il vendit ça comme des petits pains au lait. Ça n’a pas duré, avec Choron rien ne durait (…).”
    Écrivez cette histoire Sylvia, même sous forme de blog, vous l’avez vécu en direct, en première ligne. Ne vous laissez pas envahir par le ressentiment que les difficultés ont pu vous inspirer. Je crois que vous n’êtes pas complétement isolé. Des personnes comme Pierre Carles par exemple, seraient sans doute désireuses de vous voir écrire sur le sujet. Mais le plus important, c’est de découvrir ce que toute cette histoire peut révéler de richesses pour vous. Écrire cette histoire ne vous fera pas sans doute pas gagner de l’argent, mais je crois qu’elle peut vous permettre de trouver du sens et des ressources qui vivent en vous.
    Cordialement,
    Pierre

  4. 4
    la colporteuse 
    Lundi, 23. août 2010

    p.our Sylvia , et aussi les autreS . Apres 40ans de colportage en province , je precise , je tenais a remercier le prof car il y a toute une generation qui s’est reconnue au point de le calquer, en tout .j’ai lu le bouquin de d’odile , pour moi il est edulcore severe , a savoir que finalement c’etait tout mignon je parle des reseaux de vente , ce n’etait pas le cas ,loin s’en faut , ou les reglements de compte existaient bel et bien , ce monde etait cynique au possible , et la mentalite pas terrible , je comprend que Sylvia se sente trahie , moi de meme , mais finalement je positive , a la vente j’ ai rigole, j’ai une vie riche mais il faut savoir qu ‘un colporteur ne finit jamais millionnaire ,perso je l’ ai vecu comme si j’etais foraine et n’est jamais eu envie de changer de boulot . aussi j’envoie toutes mes salutations a Sylvia elle ne peut etre que bien et lui souhaite de tout coeur de rencontrer un mec brave avec qui elle pourrait continuer sa vie meme si le prof etait son grand amour . Il faut rendre hommage aussi a madame Novi que j’ai rencontre et que j’avais trouvee remarquable , d’intelligence et de finesse ; une femme rare .

  5. J’ai lu votre message et je pense qu’effectivement, Odile a dit beaucoup de choses sauf ce qui la concernait directement.C’est triste. Je pense quant à moi qui ait vécu 20 ans avec le Prof, j’aurais un triple volume de récits à faire partager… Mais je ne connaissais pas Odile - Bien que des commérages ont pu penser tout haut que j’étais à l’origine de son décès… Je ne savais même pas qui était le Prof choron à l’époque.. alors imagez le reste !
    Bref, depuis le départ de cette “union” j’étais “maudite”….
    en ce moment encore, j’en vis les effets secondaires…

  6. je n’ai plus rien à répondre mais j’espère que mon livre vous permettra de voir les choses autrement

  7. Pas de souci,Georges Bernier n’est pas remplaçable tout simplement parce-qu’il me fait toujours bien marrer et je n’oublierai jamais son “humour”gaulois et une répartie inoxydable ,et nous pouvons compter sur celles et ceux qui l’ont connus dont je suis pour veiller à ce que jamais on n’oublie cet “anti-dépresseur” personnifié pas plus que nous n’oublierons ces rencontres entre Chàlons-sur-Marne et Gare de l’Est.

  8. 8
    la colporteuse 
    Lundi, 15. novembre 2010

    Bonjour Sylvia, il est vrai qu’Odile ne pouvait tout dire , mais elle aussi etait très malheureuse c’est certain et Michèle leur fille à part materiellement quelle enfance ? voir sa mère maltraitee laisse des marques , j’en sais quelque chose je l’ai vecu!!! enfant de colpos c’est pas marrant ; ah non ! j’ ai connu ou croise tout ce beau monde , ou il etait de bon ton de penser que le reste de la planete etait con c’est dire ; finalement vous vivez en marge n’est ce pas ?et meme si vous etes derouillee , personne ne s’en melait l’omerta totale la seule chose que vous savez maintenant c’est que tout comme moi vous etes tombee sur un manipulateur pervers ,et l’enfance n’explique pas tout ni la guerre que sais encore ; ils n’ont pas d’affect ou si peu des gens gens hors du commun peut etre , mais comme par hasard tombe sur le meme profil de nana empathie , sincere gentille bonne poire voir conne , enfin Sylvia,si vous voulez mon mail c’est avec plaisir que je vous le laisse par l’intemedaire du jardin de Pierre. tant de choses restent non dites;;;;;;;;;;;;;;;;

  9. C’est avec un réel plaisir que je souhaiterais pouvoir communiquer avec vous.
    J’attends par le biais de Pierre votre mail.
    Bien à vous

  10. En relisant votre premier article, je serais tentée de dire que l’armure ne fait pas le guerrier…

  11. Du reste, le Professeur Choron n’était pas un guerrier. Depuis le premier jour où je l’ai rencontré, il s’abritait - comme toute la famille - derrière moi.
    Il luttait certes, pour son pain quotidien… A part ça, c’est moi qui tenait les rênes