Mardi, avril 21st, 2009 | Author: Pierre

Après l’oeuvre de Bernard Boisson, je suis en train de lire le dernier livre de Marc-Alain Ouaknin intitulé Zeugma. Ouaknin est un auteur avec lequel j’aime avoir rendez-vous. C’est un ami qui met sa curiosité et son érudition au service des autres. Son style est magnifique, et sa vocation à l’interprétation incroyable. Fidèle en cela à la tradition judaïque puisque sa lecture des textes est toujours reliée à quelques réminiscences d’autres lectures, à l’instar de la mahloquet qui offre une lecture ouverte et féconde du Talmud. Ouaknin offre une véritable folie interprétative, le lire ne signifie pas chercher la vérité, mais plutôt rendre vivant chaque texte, en créant ou en révélant de multiples pistes possibles de lectures.

Le style est également important dans l’écriture de Ouaknin. Le rythme de son écriture, et le son de ses mots lorsqu’on prend la peine de lire ses textes à haute voix, révèlent une musicalité de son texte. Je me souviens de la lecture que je faisais dans le train de ses Méditations érotiques qui sont un essai sur l’oeuvre d’Emmanuel Lévinas. Ce livre m’avait plongé dans la quintessence de l’érotisme en tant que dévoilement de l’éthique, ce premier rapport au monde qui nous montre la manifestation comme à la fois visible et invisible. Un essai qui prend le lecteur par la main en lui montrant que la caresse est une métaphore essentielle pour appréhender le monde avec douceur, respect et ouverture: une main ouverte sur le monde, un esprit ouvert qui se distingue de la clôture conceptuelle que parfois nous pouvons être tenté d’opérer, lorsque nous sommes prisonnier d’une arrogance qui s’octroie le droit de tout légiférer, de tout contrôler, abandonnant tout espace pour la poétique de la manifestation.

Dans ce nouvel opus, Ouaknin nous révèle en vision kaléidoscopique un mot magique dont l’introduction suivante vous donne un aperçu.

 

Ce mot Zeugma, Ouaknin va ensuite:

  • le conjuguer à tous les temps: vision historique de la ville qui fut durant plusieurs siècles un lien entre l’orient et l’occident sur les routes de la soie, le long de l’Euphrate,
  • le pénétrer avec l’esprit du poète: le livre fourmille de figures de style où l’on rencontre Roland Barthes et Pierre Desproges entre autre (étonnant non?),
  • l’ausculter comme un médecin: comme il l’avait déjà fait dans Bibliothérapie.

Zeugma, ce mot magique incite à créer des liens, et bien entendu, Ouaknin nous invite comme il le fait très souvent dans ses livres, à une nouvelle entrée dans le monde du Talmud et des interprétations auxquelles se livrent les juifs lorsqu’ils se plongent dans la parole vivante de Dieu, paroles contenues dans la Bible.

Une nouvelle fois, Ouaknin écrit avec générosité sur un sujet qui l’anime intimement. Il nous ouvre son coeur et l’on y rencontre beaucoup de poésie, un immense amour de la vie, une certaine exigence aussi. Ouaknin est un peu philosophe, un peu linguiste ou plutôt intéresser par la langue et les mots variés qu’elle offre, les constructions surprenantes qu’il est possible d’opérer, c’est sans doute sur de dernier point où la lecture de Ouaknin peut présenter des difficultés. Malgré cela, le texte est d’une telle beauté, que sa fréquentation demeure un plaisir. J’avais rencontré cette sensation avec Totalité et infini que j’ai lu goulument à 22 ans. Lévinas m’enchantait, mais je réalisais aussi qu’une grande partie du texte échappait à ma compréhension directe. En revanche certaines phrases, tels les flèches de Cupidon, traversaient directement mes voiles d’incompréhension pour se planter en plein coeur. Ces simples éclaircies suffisaient à auréoler l’intégralité de l’oeuvre de Lévinas d’un caractère presque sacré. N’a-t-il pas l’audace d’affirmer que le langage, station inévitable de la raison n’est pas l’ultime du sensé? Comme Zeugma pour Ouaknin, cette intuition de Lévinas, m’habite depuis…

Enfin Zeugma offre un voyage à son lecteur. D’un certain point de vue, il s’agit presque parfois d’un journal que tiendrait Ouaknin. Parfois le livre devient prise de note, partage de curiosités, longue digression autour de ce lien qu’est Zeugma. Ouaknin tisse de nombreux liens, dont certains peuvent paraître ténus, mais qui révèlent plutôt me semble-t-il, la capacité d’embrasser le monde avec un regard ouvert mais cohérent, un regard particulier et pourtant universel.

Ouaknin (Marc-Alain), 2008, Zeugma. Mémoire biblique et déluges contemporains, Seuil, coll. “La couleur des idées”, isbn 9782020231589, 23€.

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