Jeudi aura été une journée épuisante mais enthousiasmante. Nous étions accueillis, Mme Lepori et moi, par l’Anpe de Lyon opéra (pardon, maintenant il faut dire “Pôle Emploi”). Mme Monjauze, spécialisée dans la relation avec les entreprises, avait organisé une journée de recrutement dans leurs locaux. De son côté, ma directrice avait sélectionné les CV et sur six sessions d’une heure chacune. Nous avons reçu au total plus d’une trentaine de candidats.
Journée enthousiasmante donc pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en cette période de marasme économique, où les médias brillent par leur conformisme à nous asséner leur diagnostic de crise financière, puis économique, nous dictant même notre moral: “Le moral des français est haut plus bas, pensez donc ils ne peuvent plus consommer…”, comme si le sens de toute une vie pouvait se résumer à notre “avoir dans nos armoires” (dixit Souchon)! Eh bien donc dans cette morosité économique ambiante, il est enthousiasmant de pouvoir se présenter comme recruteur pour une activité à laquelle on croit fermement, avec conviction.
D’ailleurs en dehors de toute conjoncture économique, à la faveur d’une pause café avec Mme Monjauze, celle-ci me révélait qu’en vingt ans de carrière au service des entreprises, c’est la première fois qu’elle voyait ça: la création d’une douzaine de postes de librairie traditionnelle. La librairie est en effet dans un mouvement général qui tend à entraîner ses acteurs de terrain vers la vente coûte que coûte. Les journaux des ventes sont souvent automatisés (les réassortiments des livres de fond sont de moins en moins choisis par les libraires, mais calculés par un algorithme de rotation des stocks qui commandera en fonction des cadences de vente du livre), les commandes de nouveautés sont centralisées par un “super acheteur” etc… Sur le terrain, le libraire traditionnel se transforme donc irrémédiablement en vendeur sans réelle qualification puisqu’il perd la maîtrise de son fond.
Ici rien de tel puisque le travail du libraire chez Gibert est bien celui que l’on imagine traditionnellement. Le libraire voit les représentants qui lui proposent ses nouveautés et insistent sur les lignes éditoriales que leurs maisons d’édition souhaitent mettre en valeur, et le libraire a davantage de liberté pour jouer (ou pas) le jeu suivant la configuration de son rayon et la sensibilité de sa clientèle. Donc une douzaine de postes de vrai libraire, auxquels s’ajoutent plusieurs postes liés à d’autres produits culturels (presse, papeterie, jouets etc…).
Enthousiasmante aussi cette journée parce qu’elle permettait de rencontrer beaucoup de personnes variées ayant chacune une sensibilité particulière aux livres et à la culture. Madame Lepori faisait en début d’heure une présentation du nouveau magasin qui va s’ouvrir dans le quartier “Carré de Soie” à la frontière de Villeurbanne et de Vaux-en-Velin, puis nous enchainions séparément sur des entretiens d’une vingtaine de minutes.
Je n’avais pas eu l’occasion jusqu’à jeudi de recruter avec autant d’ampleur. J’ai appliqué toute l’attention dont je suis capable aux personnes qui se présentaient devant moi. J’ai été très touché par la variété des candidats. Ici mon expérience d’enseignant m’a été précieuse. J’apprends d’année en année à voir le potentiel de chaque élève, ce pour quoi il est doué, en propre, les qualité qui l’animent. Dans un contexte de recrutement, c’est la même chose. Si vingt minutes ne permettent bien évidemment pas de faire le tour de la personne, elle révèle d’emblée des choses essentielles sur elle. Pas forcement dans ce qu’elle dit, mais plutôt dans la manière dont elle le dit, et dans l’adéquation de ces deux observations.
L’authenticité aura toujours été payante en terme relationnelle. Après les réalités de terrain imposent un pragmatisme qui relativise la concrétisation effective d’un entretien qui s’est révélé pourtant très fructueux du point de vue relationnel. Par exemple un candidat sur deux “rêve” de s’occuper du rayon jeunesse, mais ce rayon n’occupant pas, ni en chiffre d’affaire ni en surface, la moitié de la librairie, il faut opérer un choix!
De 10h à 17h, j’ai donc reçu plus d’une quinzaine de candidats. J’ai eu un vrai coup de coeur pour une jeune libraire qui me semblait avoir tout compris au métier et manifestait déjà beaucoup de maturité, avec également une sensibilité à l’enthousiasme. Mis à part deux personnes qui ne correspondaient pas vraiment aux postes que nous proposions, tous les autres ont des qualités pour y prétendre. Nous devrons opérer maintenant nos choix.
J’avais proposé à ma directrice de la jouer “Nouvelle Star” en demandant aux libraires potentiels de déclamer quelques sonnets, aux disquaires de chanter et aux papetiers d’écrire façon calligraphie… Et puis finalement, elle m’a proposé de leur laissé exprimer leur créativité différemment.