Mardi, décembre 16th, 2008 | Author: Pierre

Mieux vaut tard que jamais. Le texte de Barack Obama qu’a publié Grasset en juin intitulé De la race en Amérique est à bien des égards un texte politique majeur. J’aurais aimé écrire quelques lignes à son sujet avant ce soir. Je l’ai abordé en cours et j’en ai fait un résumé aux étudiants de l’Ecam, à Audrey ma collègue libraire, à mes parents, à mon épouse. Mais je n’avais pas encore pris le temps de coucher quelques lignes à son sujet. Mieux vaut tard que jamais…

Quelques mois avant son élection à la présidence des Etats-Unis, Grasset décidait de publier ce texte charnière dans la campagne présidentielle d’Obama. Charnière parce qu’Obama après de nombreuses épreuves passées avec succès (concurrence avec Hillary Clinton, etc…) rencontrait en mars dernier une difficulté majeure qui aurait pu faire basculer toute sa campagne dans le doute et la suspicion généralisée.

Barack Obama est l’homme de tous les métissages. Il y a quelques années cette richesse d’origine aurait été perçue comme une fin de non-recevoir à la Maison blanche. Aujourd’hui les choses ont changé, les valeurs ultra-conservatrices à l’oeuvre dans la politique américaine de ses dernières années, après ses multiples échecs, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, ne rencontrent plus l’adhésion de la nation. Barack Obama représente celui qui est en mesure de rassembler cette union, cette fierté que chaque américain partage avec son compatriote d’appartenir à cette nation. Il rassemble au-delà des clivages habituels.

Métisse de peau et de croyance, son coeur oscille longtemps entre la religion musulmane de son père et son éducation chrétienne. L’Islam, cette tradition si étrangère au continent américain, Barack Obama la porte en lui, même s’il ne s’y est finalement pas converti. Il devient en effet chrétien et se rapproche tardivement de la communauté noire. Le révérend Jérémiah Wright le guide dans cette conversion. Dans ce discours prononcé à Philadelphie le 18 mars 2008, Barack Obama écrit au sujet du révérend Wright: « Cet homme je l’ai rencontré voici plus de vingt ans, et il m’a aidé à découvrir ma foi chrétienne; c’est un homme qui m’a parlé du devoir d’aimer mon prochain, de prendre soin des malades et de venir en aide aux pauvres. C’est un homme qui […] pendant plus de trente ans, a dirigé une église au service de la communauté en accomplissant ici-bas ce que nous demande Dieu: loger les sans-abri, assister les nécessiteux, ouvrir des crèches, attribuer des bourses d’études, rendre visite aux prisonniers et apporter du réconfort aux séropositifs et aux malades atteints du Sida » (p. 35). Le révérend Wright baptise les enfants d’Obama. Sa figure fait de lui un guide spirituel pour Obama.

Pourtant cette filiation stoppe net l’élan de sympathie qu’Obama rencontre depuis le début de sa campagne. Une équipe de télévision consacre un long reportage à la Trinity Church of Christ de Chicago diffusé le 13 mars 2008 au journal du soir sur la chaîne ABC News. Les journalistes diffusent des extraits sulfureux de sermons du révérend Wright. N’a-t-il pas écrit en 2005 dans le bulletin paroissial que les attentats du 11 septembre était « un signal d’alarme » pour l’Amérique « afin qu’elle se rende compte que les Noirs et les Arabes existent toujours ». N’a-t-il pas hurlé dans l’un de ses sermons: « Que Dieu bénisse l’Amérique? Non, non, non. Pas Dieu bénisse l’Amérique: Dieu maudisse l’Amérique! ».

Très vite ces images et les propos du révérend Wright enflamment la bloggosphère et les éditorialistes des quotidiens. La campagne est stoppée nette. De nombreux citoyens américains porté depuis plusieurs mois par l’espoir de voir se produire un changement, sont frappés de stupeur. Dans le champ de bataille que représente une campagne présidentielle, les démocrates ont souvent adopté un profil bas et défensif, préférant laisser la tempête se calmer.

Barack Obama va au contraire réagir assez vite, en faisant valoir qu’il n’a jamais assister à un sermon du révérend Wright qui lui aurait donné envie de quitter l’auditoire. Mais cette réponse est insuffisante tant l’impact de ce reportage est puissant. Alors il produit le discours historique De la race en Amérique dans lequel il prend à bras le corps toute cette difficile problématique de l’unité nationale au travers du prisme de la question raciale. Question centrale aux Etats-Unis tant les minorités sont nombreuses et inégalitaires, tant la culture noire est encore largement imprégnée d’un complexe d’infériorité, legs historique de la nation américaine à ses enfants qu’elle a enchaîné, ses enfants aujourd’hui porteur d’espoir, de rancoeur, de frustration, ayant un sentiment d’appartenance à la fois à cette patrie et à une communauté mal-aimée. Question centrale reléguée pourtant d’une certaine manière au second plan tant Barack Obama insiste sur la nécessité de l’Union qui est l’idéal américain depuis sa déclaration d’indépendance du printemps 1787.

Expliquer les différences pour mieux comprendre la diversité de la nation américaine et oeuvrer ensemble à construire cette Union qu’ont vaillamment porté les pères fondateurs. Et où ces pères ont-ils prononcé les mots qui scellaient cette Union? A Philadelphie… Barack Obama et toute son équipe de campagne prouve alors aux yeux de la nation qu’ils s’apprêtent à servir qu’il est possible d’exprimer des idées, des valeurs et de faire preuve de pragmatisme, d’un opportunisme qui ressemble davantage à une intelligence de la situation qu’à une manipulation de l’opinion.

Parlant du révérend Wright, Obama écrit que ses propos reflètent « une vision profondément erronée de ce pays, une vision selon laquelle le racisme des Blancs est endémique […] Le révérend Wright ne fait as que se tromper: ses propos sèment la discorde […] » et pourtant il ajoute quelques lignes plus loin « Aussi impatient soit-il, je le considère comme un membre de ma famille. Il a affermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants. […] Il incarne les contradictions mêmes, le bon comme le mauvais, d’une communauté qu’il sert sans se ménager depuis tant d’années. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-blanche, […] une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’a avoué un jour qu’elle avait peur des Noirs qu’elle croisait dans la rue […]. Ces gens-là font partie de moi-même ».

Barack Obama, De la race en Amérique, Grasset, 9782246741411, 8€.

Un discours politique très important de Barack Obama

Un discours politique très important de Barack Obama

Pour voir ce discours sous-titré, cliquez sur les vidéos ci-dessous:

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