Dimanche, décembre 07th, 2008 | Author: Pierre

Découvrir Jacques Lusseyran est un cadeau. Une rencontre inattendue et d’autant plus précieuse qu’elle est rare. Jacques Lusseyran est un auteur rare. Tout ce qu’il exprime tend spontanément vers la poésie. Dans Et la lumière fut, il nous raconte son enfance, son adolescence son expérience de la guerre, sa déportation à Buchenwald.

Mais plus que la forme de ses expériences, ce qui touche profondément dans l’oeuvre de Lusseyran, c’est la manière dont il se relie à elles. Jacques Lusseyran est un personnage habillé de lumière, à tel point que j’ai failli le prescrire comme lecture obligatoire pour les étudiants du cours “Religions et civilisations” à l’Itech. Il perd la vue accidentellement à l’âge de 8 ans. Cette expérience est d’autant plus fondamentale qu’il nous confie que les souvenirs qu’il conserve de ses années de voyant sont baignés de lumière. La texture de la lumière le fascine, mieux le nourrit.

Accident tragique pourrait-on croire. Ce serait une erreur. Lisez plutôt:

C’était une évidence la lumière était là. […] Je découvrais dans le même instant la lumière et la joie. Et je puis dire sans hésiter que lumière et joie ne se sont jamais plus séparées dans mon expérience depuis lors. Je les ai eues ensembles, où je les ai perdues ensemble. Je voyais la lumière. Je la voyais encore quoique aveugle. Et je le disais. Mais je n’ai pas pu le dire avec beaucoup de force pendant des années. […] Je n’étais pas la lumière: de cela je me rendais bien compte. Je baignais dans la lumière. Elle était un élément dont la cécité m’avait tout à coup rapproché. Je pouvais la sentir naitre, se répandre, se poser sur les choses, leur donner forme et se retirer. Se retirer, oui. Diminuer en tout cas. Car, à aucun moment, il n’y avait le contraire de la lumière. Les voyants parlent toujours de la nuit de la cécité. De leur part, cela est bien naturel. Mais cette nuit-là n’existe pas. A toutes les heures de ma vie consciente - et jusque dans mes rêves - je vivais dans une continuité lumineuse. Sans les yeux d’autre part, la lumière était beaucoup plus stable qu’elle ne l’était avec les yeux. […] Pourtant il y avait des cas où la lumière diminuait, au point presque de disparaitre. Cela se produisait par exemple chaque fois que j’avais peur. […] Ce que la perte de mes yeux n’avait pas su faire, la peur le faisait: elle me rendait aveugle. La colère et l’impatience avait les mêmes effets: elles brouillaient tout le paysage. […] Mais là où le plus extraordinaire arrivait, c’était avec la méchanceté. Je ne pouvais même plus me permettre d’être jaloux ou hostile, parce qu’aussitôt un bandeau était posé sur mes yeux: j’étais ligoté, garroté, mis au rancart. Instantanément un trou noir se creusait au centre duquel je m’agitais, impuissant. Au contraire, quand j’étais heureux et tranquille, quand j’allais vers les gens avec confiance, quand je pensais du bien d’eux, j’étais payé en lumière. Rien d’étonnant si j’ai aimé si tôt l’amitié et l’harmonie. Muni d’un tel instrument, qu’avais-je besoin de la morale?

Tout le texte de Lusseyran est parsemé de texte qui ont cette densité et cette expressivité. Je ne puis résister à l’envie de vous en lire un extrait, le chapitre 7 de la première partie.

Jacques Lusseyran, Et la lumière fut, Le Félin, 2782866456641, 11.90 euros.

 

Un livre rare qui ouvre sur des perspectives inattendues

Un livre rare qui ouvre sur des perspectives inattendues

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