Extension de la notion de citoyenneté
La citoyenneté est une notion qui a vu son contenu s’élargir progressivement au cours de l’histoire des hommes. Pour faire court, on pourrait synthétiser l’histoire de cette notion en trois temps. D’abord en Grèce où le citoyen appartient avant tout à la cité, ensuite l’appartenance s’élargit à la nation, enfin depuis le début du siècle dernier, le citoyen est de plus en plus concerné par les questions globales. Chaque homme ou femme fait partie de la vaste famille des humains, elle-même inscrite dans l’évolution de la vie. Ainsi, il n’est pas un aspect des milliards de formes que manifeste la vie qui ne nous touche intimement.

Potentiellement, la responsabilité de chacun d’entre nous s’élargit autant que notre appréhension du monde. C’est la raison pour laquelle des artistes au regard profond, ayant une acuité particulièrement aiguisée ce sont très tôt sentis des citoyens du monde, vibrant au diapason d’une solidarité internationale encore balbutiante. C’était le cas de David-Henri Thoreau au XIXème siècle ou de Romain Rolland au début du XXème siècle.

En réalité, les formes de citoyenneté sont multiples, elles épousent de nombreuses formes. A la limite, on pourrait dire qu’il y a autant de formes de citoyenneté que de citoyens. Néanmoins un regard plus synthétique nous apprend que quelque soient leurs formes, un dénominateur commun les unit toutes : l’engagement. Le citoyen s’implique toujours plus ou moins intimement, avec sa tête, avec son coeur, et avec son corps.De cette implication émergent des actes, des paroles et des pensées qui convergent pour donner à chaque citoyen un profil particulier.

Une vision simpliste pourrait nous induire en erreur. Le citoyen n’est pas nécessairement celui qui se rend au meeting politique, ni celui qui manifeste dans les rues pour réclamer des droits, ou pour combattre une loi. Ces formes ne sont que des images d’épinal de la citoyenneté. Il en existe d’autres qui sont davantage exemplaires. L’action de Coluche en France dans les années 1980 entre dans cette catégorie. Qui aurait pu imaginer que derrière cet humoriste grossier se cachait le coeur d’un homme intelligent et généreux. Plus de vingt ans après son oeuvre de citoyen perdure en partie avec les resto du coeur.

Coluche dans la continuité de l’action de l’abbé Pierre
Dans un esprit très proche, Frank Zappa aux Etats-Unis s’engagea pour tenir des positions courageuses à l’encontre de l’ordre moralisateur qui sévissait au cours des années 1980 sous la présidence de Ronald Reagan.

Frank Zappa, un regard d’une lucidité bouleversante

Pour citer Frank Zappa: “Ce que je demande aux gens, c’est seulement de vérifier au quotidien les informations auxquelles ils sont soumis. Ne les avalez pas comme ça. Réfléchissez un instant. Vous avez le droit d’analyser les choses dont vous avez eu connaissance. Mais si vous choisissez de vous laissez engourdir et de vous laisser embobiner, c’est aussi votre droit. Ce dont vous n’avez pas le droit alors est d’être, par l’ignorance que vous vous imposez, un handicap pour les autres. Vous avez le droit d’être stupide, mais pas celui de légiférer votre imbécilité comme viable à ceux qui ont une vue plus nette de la réalité des choses.” (in Christophe Delbrouck, 2003, Frank Zappa & les mères de l’invention, Le castor Astral, p. 149).

Frank Zappa et Coluche avait en commun cette forme de citoyenneté particulière, très audacieuse, qui consiste à utiliser la dérision et la provocation pour réveiller la conscience endormie de leur concitoyen. Cette forme de citoyenneté a été merveilleusement décrite dans l’irrésistible roman d’Albert Cossery, La violence et la dérision.

Ces exemples, aussi inspirants soient-ils, ne doivent pourtant pas nous détourner de trouver notre propre chemin. Quelle sera notre propre citoyenneté? Celle qui nous habite intimement, et qui nous rend à nul autre pareille. Chögyam Trungpa, tibétain en exil et citoyen américain, nous invite à suivre cette voie très intime qui consiste à offrir au monde ce que nous avons de plus précieux, ce qui nous habite en propre.

Chögyam Trungpa, une authenticité foudroyante à la recherche d’une société éveillée

Pour citer Chögyam Trungpa: “Bien que nous soyons chacun responsable d’aider le monde, il se peut qu’en essayant d’imposer nos idées et notre aide aux autres, nous finissions par ajouter au chaos. Bien des gens ont des théories sur les besoins du monde. Certains affirment que le monde a besoin de communisme, d’autres qu’il a besoin de démocratie; pour certains la technologie sauvera le monde, pour d’autres, elle le détruira. […] il nous faut d’abord découvrir en nous-même ce que nous pouvons offrir au monde avant d’établir une société illuminée. Donc, pour commencer, nous devons nous efforcer d’examiner notre propre expérience afin de voir ce qu’elle contient d’utile pour ennoblir notre existence et pour aider les autres à en faire autant.

Finalement, le travail de l’apprenti citoyen que nous sommes tous, est la recherche d’une compréhension toujours plus approfondie du rôle que nous avons à jouer dans le monde.