Discours inaugural “Lectures de l’évènement” 2009

Bonjour à toutes et à tous.

Cette année pour toutes celles et tous ceux qui choisiront « lectures de l’évènement », je souhaite présenter les grandes orientations du cours, même si, comme vous allez le voir, vous en serez également grandement responsables. L’un des projets essentiels de ce cours est de contribuer à faire de chacun un citoyen plus éclairé, et donc plus responsable. Résultat auquel vos camarades des années précédentes sont parvenus sur ma personne. En effet, je ne conçois pas la relation enseignante comme unilatérale, nos échanges participent à la formation de tous les membres du groupe, y compris de celui qui revêt provisoirement le rôle d’enseignant. J’expérimente cette remise en question et cet enrichissement mutuel depuis quinze ans maintenant, et j’espère qu’il en sera de même pour vous cette année.

Ces précisions faîtes, venons-en maintenant au contenu du cours. Je souhaite que nous puissions étudier ensemble quelques problématiques qui me semblent essentielles pour bien vivre actuellement. L’une d’elles est la compréhension du langage des médias et la manière, souvent inconsciente, dont nous nous positionnons par rapport à ce langage. Nous savons tous que le langage médiatique n’est pas objectif, « vu à la télé » ne signifie pas « vérité », ni « entendu à la radio » ou « lu sur internet » n’est le gage d’une information avérée, ni qui plus est, pertinente. Pour quelles raisons en est-il ainsi? A mon avis, il est possible de donner deux séries de réponses complémentaires:

  • d’une part, le langage des médias obéit à une rhétorique, c’est-à-dire à une mise en forme de l’évènement qui exacerbe certaines de ses dimensions et en camoufle d’autres, cette rhétorique étant tout à la fois un art (un ensemble de savoir-faire et une esthétique) et une science (un discours raisonné) de l’argumentation,
  • ensuite, parce que les médias agissent comme des lunettes d’observation que l’on applique sur la complexité de la réalité qui nous entourent. Non seulement les médias donnent une forme aux événements qu’ils présentent, mais de plus ils les choisissent, ils les sélectionnent en fonction de logiques diverses dont il est bien difficile de donner une grille de lecture complète. Disons simplement qu’ils obéissent à des intérêts qui oscillent entre le désintéressement le plus noble jusqu’à l’instrumentalisation la plus évidente.

Ces deux réponses peuvent apparaître frustrantes. J’imagine aisément les remarques qu’elles peuvent susciter: « N’y-a-t’il donc aucun moyen de connaître la vérité? », « Quelles stratégies pouvons-nous alors mettre en oeuvre pour être réellement informé sans être désinformé? ». Je crois que toutes ces questions sont pertinentes et qu’elles peuvent toutes recevoir des réponses satisfaisantes. Encore faut-il ne pas se leurrer sur la connaissance et même, pour être plus précis, sur la cognition, c’est-à-dire le processus de connaissance que nous avons du monde et de nous-même. Pour expliciter ce point, il me faut préciser ce que j’entends par cognition  (processus de connaissance).

Nous considérons habituellement le monde qui nous entoure comme indépendant de nous. Nous pensons que le monde existe indépendamment de la connaissance, ou de la représentation que nous nous en faisons. L’hypothèse centrale du cours remet en question cette assertion pourtant communément admise. Je crois au contraire que le monde est que le résultat de la construction mentale que nous avons opéré tout au long de notre vie: le monde et nous-même formons une unité active, dynamique et interdépendante. Pour citer Piaget dans son livre La construction du réel chez l’enfant, « l’intelligence […] organise le monde en s’organisant elle-même ». Ce processus d’organisation est à l’oeuvre depuis notre conception dans le ventre maternelle jusqu’à notre mort. Qu’est-ce que tout cela signifie? Simplement que trop souvent, pour ne pas dire de manière exclusive, on enseigne comme si les connaissances étaient indépendantes de celui qui les reçoit. Or, il faut bien se rendre à l’évidence, le sujet connaissant est au centre. Il faut partir de nos processus mentaux, de nos logiques de raisonnement pour apprendre et comprendre de manière appropriée. Pour citer encore Piaget: « Comprendre c’est inventer », sous-entendu trouver des solutions aux problèmes rencontrés avec ses ressources propres.

Arriver à ce niveau de la présentation du cours vous pourriez vous demander à juste titre quel est le lien avec le projet de notre enseignement: quels sont les rapports avec les « Lectures de l’évènement »? Je crois que les médias agissent à leur niveau, comme chacun de nous au niveau individuel. Ils construisent socialement la réalité tout en se construisant. Si bien que l’enjeu en devient ni plus ni moins que le contenu de cette réalité. Poursuivons un instant cette analogie avec le processus individuel de cognition. Par exemple, nous placer à l’écoute attentive d’une personne autiste peut nous révéler que le mode de connaissance qu’il construit du monde et de lui-même est hyperfragmenté, avec toutes les angoisses et les peurs que cela peut susciter. De même, côtoyer un mystique peut nous ouvrir sur des expériences d’unité viscérale entre nous-même, sujet connaissant, et le monde qui nous entoure. Les frontières s’estompent. Expérience que chacun peut vivre lorsque nous sommes en syntonie avec une œuvre musicale ou un paysage par exemple. De la même manière, les médias participent à la création de la réalité sociale dans laquelle nous vivons. Cette réalité sera-t-elle schizophrène ou éveillée?

Nous partirons de l’hypothèse que le monde est une sorte de miroir tendu pour comprendre la manière dont notre intelligence s’organise. Elisée Reclus disait que « l’homme c’est la nature prenant conscience d’elle-même ». Les médias peuvent également être considérés comme un miroir tendu devant la manière dont s’organise notre intelligence commune, notre intelligence sociale. Les médias organisent la réalité tout en organisant son propre discours qu’il soit écrit, audio, vidéo ou tout cela à la fois.
Le projet du cours sera de donner des grilles de lecture de ces schémas d’organisation de la réalité avec les thèses de Christian Salmon sur le storytelling par exemple, mais également, et c’est cela qui me semble essentiel, de permettre à chacun de découvrir les familles d’interprétation avec lesquelles il se sent le plus d’affinités.

Cette année nous aborderons des thématiques qui tout à la fois nous traversent et sont agissantes dans le monde qui nous entourent. Nous étudierons l’histoire des médias et nous analyserons les discours médiatiques, notamment audiovisuels. Nous travaillerons également sur la prospective pour tenter de répondre à la question: quel monde émergera de nos choix sociétaux? Enfin le cours sera aussi un lieu pour proposer des visions alternatives au modèle considéré comme dominant, modèle économique néolibéral qui place le marché au centre des toutes les régulations qu’elles soient politiques, économiques ou sociales. Ces alternatives, malgré leurs divergences, seront toutes à leur manière des points de vue créatifs.

Enfin, puisque nous sommes dans le cadre d’un cours, inévitablement se pose la question de l’évaluation. Pour qu’elle reflète la diversité du potentiel de chaque étudiant, elle sera multiforme. Une partie sera liée à votre présence en cours: présence physique et capacité à intervenir en mobilisant vos acquis. Une partie de l’évaluation sera liée à l’enrichissement que vous pourrez apporter au site internet que nous allons créer ensemble. Une partie sera liée aux exposés et QCM. Enfin la dernière partie de l’évaluation sera liée à l’examen final que tous les étudiants qui suivent la formation humaine passeront.