L’objet du cours « économie citoyenne » consiste à offrir aux étudiants une introduction aux sciences économiques en leur donnant la place d’acteur dans le cours. L’économie y est abordée comme une discipline qui relève aussi bien de la sphère du politique que des sciences de la nature.
Filiation politique :
Concernant la première filiation, le propos du cours est de montrer aux étudiants qu’en tant que « fille » du politique qui s’est autonomisée comme champ disciplinaire au XVIIIème siècle, l’économie n’en demeure pas moins tributaire de cette filiation. Bien que la vulgate médiatique en général et la terminologie ésotérique des spécialistes en particulier, semblent indiquer que l’économie est une discipline qui s’adresse aux seuls initiés, le propos du cours vise à montrer que toute la « noblesse » de la discipline économique réside dans sa capacité à servir la société en général et le politique en particulier. Et dans cette dimension politique, chaque individu qui dans le champ économique sera identifié comme un consommateur par exemple (ou un producteur, ou un épargnant etc…), chaque individu donc, est avant tout un acteur du système économique dans lequel il joue un rôle. Ce rôle est porteur de valeurs et dans ce sens, l’individu même lorsqu’il est appréhendé par les sciences économiques, demeure un citoyen dont le travail consiste à s’éveiller aux valeurs que ses actes économiques représentent. Le champ de la citoyenneté s’élargit énormément puisque, avec la mondialisation, le citoyen que nous sommes tous, devient un acteur dans la globalité du système économique planétaire.
La seconde filiation avec les sciences de la nature demande quelques précisions. Il ne s’agit pas ici de présenter aux étudiants l’économie comme une discipline qui chercherait dans les sciences de la nature un modèle auquel se conformer. Il est plutôt question de sensibiliser les étudiants à l’économie en tant que science de systèmes comme l’est l’écologie (qui fait appel aux modèles mathématiques, à la géophysique, à la chimie et bien sûr à la biologie). Étymologiquement l’éco-nomie est le nomos (loi juridique et scientifique avec une forte propension à la mesure des choses) de la maison et l’éco-logie est le logos (étude scientifique) de la maison, de l’environnement. De nouvelles approches audacieuses, émergeant de différents chercheurs indépendants les uns des autres, convergent depuis une vingtaine d’années pour voir dans l’économie, un écosystème particulier, propre aux humains, et qui s’intégrerait dans l’ensemble des autres écosystèmes de la biosphère. Dans cette approche, la dimension de la citoyenneté n’est plus seulement politique, elle déborde largement son champ habituel pour replacer chaque étudiant comme un acteur prenant conscience du réseau hyper complexe de la vie dans lequel il évolue.
Il serait bien prétentieux d’exposer aux étudiants une vision unifiée de ces deux filiations. Mon propos tout au long du cours « d’économie citoyenne » consiste à prendre les étudiants par la main pour les emmener sur ces sentiers de réflexion. Il s’agit de partager avec les étudiants mes compétences d’économiste en leur donnant un aperçu des grandes théories de cette discipline et ses thématiques essentielles, mais également les manques évidents de cette discipline et les questionnements que cela suscite. L’implication et l’engagement étant des valeurs incontournables de la citoyenneté, l’écoute et le respect des idées étant des valeurs essentielles de la démocratie, les outils pédagogiques qui me sont apparus essentiels au fil des années, mettent en œuvre des méthodes pour inciter les étudiants à mobiliser leur compétence dans ce sens.
Les étudiants travaillent en groupe et de manière individuelle. Souvent les trois premiers cours ressemblent à des cours magistraux même si mon souci demeure lié à la qualité d’écoute et de compréhension des étudiants. Ces cours introductifs me permettent de poser les bases communes sur lesquelles il sera possible de travailler ensemble par la suite. Les cours suivant ressemblent davantage à du travail collaboratif.
Les exposés comme travail collaboratif :
Les étudiants choisissent dans une liste de thèmes qui leur sont imposés, celui qui les inspire le plus pour leur exposé. Le thème est imposé, mais les étudiants sont libres de traiter leur thème par un sujet de leur choix qui l’illustre sous l’angle de l’économie et de la citoyenneté. Par exemple cette année sur le thème « La mesure en économie », Isabelle, Hélène et Benoît ont choisi de traiter des indicateurs alternatifs au PIB et au PNB. Le travail en exposé est collaboratif pour plusieurs raisons :
- d’abord c’est un travail en groupe de deux à quatre étudiants,
- ensuite pendant l’élaboration de leur exposé, les étudiants sont en relation avec moi,
- enfin ces échanges me permettent à la suite de l’exposé soit de le compléter, ou d’adopter un positionnement différent.
Le travail collaboratif possède une autre dimension en cours. Les exposés sont des moments propices aux débats, aux partages de points de vue argumentés : quand les étudiants présentent leur exposé, ils « s’exposent ». Une partie de la note de l’exposé évalue la capacité des étudiants à mobiliser leur auditoire et à susciter des échanges.
La dimension ludique du travail collaboratif :
Enfin l’implication, l’engagement, l’écoute et le respect n’interdisent nullement l’apparition d’une dimension ludique dans le cours qui s’illustre de diverses façons.
Des histoires en guise de préambule
Cette année, il m’est par exemple apparu opportun de débuter chacun des cours par une histoire plus ou moins édifiante, illustrant des propos tenus lors des derniers cours ou à venir. Les étudiants étaient invités également à donner le coup d’envoi du cours par une histoire de leur propre cru.
Le blog « d’économie citoyenne » :
Une autre facette de cette dimension ludique aura été cette année la mise en place d’un blog (journal en ligne) pour le cours. Depuis plusieurs années, les étudiants n’étaient évalués que sur leur capacité à l’oral et l’écrit était injustement délaissé. Avec le journal en ligne, les étudiants étaient fortement incités à écrire au moins une note durant l’année. Sur 25 étudiants, 23 ont rédigé au moins une note, et 6 en ont rédigé plusieurs. Les étudiants étaient libres :
- de formuler des remarques sur le cours,
- de demander des éclaircissements auxquels il n’auraient pas pensé en cours,
- de rédiger un texte concernant l’actualité,
- etc…
La consigne explicite était que chaque étudiant durant les quelques semaines qui nous réunissaient, soit à l’écoute des informations économiques, écologiques et citoyennes de son environnement quel que soit le média (télévision, radio, journaux, livres, conversation en famille etc…) et qu’il en fasse partager sa compréhension aux autres au moyen du blog.
Pour ma part, il me semblait important de valoriser l’investissement de chaque étudiant par divers moyen, par exemple chaque groupe d’exposé a été photographié et mis en ligne. Le blog m’a permis également de faire une veille sur les dernières parutions susceptibles d’intéresser les étudiants et d’ajouter des matériaux pédagogiques que je n’avais pas l’opportunité d’intégrer en cours.
Enfin l’ouverture m’a paru également être un atout pour offrir aux étudiants une meilleure compréhension du monde. Cette année nous avons eu la chance de recevoir deux intervenants extérieurs qui ont eu la gentillesse de donner de leur temps pour partager avec les étudiants leur expérience et leur compréhension de la consommation citoyenne et de la banque :
- Baptiste Mylondo, auteur du livre Des caddies et des hommes paru aux éditions « La Dispute » en octobre 2005, a créé une société coopérative alter-conso qui distribue des paniers de produits biologiques dans l’agglomération lyonnaise. Baptiste est venu nous expliquer ce qu’on entend par consommation citoyenne.
- Monsieur Pagès, directeur régional du crédit coopératif, est venu nous parler de son métier de banquier engagé dans les finances solidaires et écologiquement responsables.
Malgré une maturation et un approfondissement réguliers du contenu du cours « économie citoyenne », l’orientation du fond n’a guère changé en quatre années. En revanche la forme du cours a considérable évolué. Elle s’est « fluidifiée » en diversifiant les apports pédagogiques. Bien que sa forme soit plus exigeante aujourd’hui pour les étudiants, il est évident que leur implication s’est mise au diapason de cette diversité. Les étudiants ont manifesté énormément d’intérêt pour cette matière, leur investissement régulier, la pertinence de leur remarque et un absentéisme quasi inexistant en témoignent. Le contenu du cours et la manière de le présenter sont en bonne adéquation.
C’est pourquoi il m’apparaît opportun de proposer cette expérience dans le cadre d’autres cours.
Biosphère, citoyenneté, consommation, consommation citoyenne, croissance, développement, écologie, écologie industrielle, économie, empreinte écologique, énergie, éthique, globalisation, gouvernance, indicateurs, interdépendance, libéralisme, marché, mesure, mondialisation, monnaie, organisation, production, répartition, réseaux, richesse, structure, système, transdisciplinarité.
Bertalanffy (Ludwig von), Brown (Lester R.), Capra (Fridjof), Castells (Manuel), De Diéguez (Manuel), Erkman (Suren), Georgescu-Roegen (Nicholas), Hayek (Friedrich), Lovelock (James), Luhmann (Niklas), Maris (Bernard), Nicolescu (Basarab), Passet (René), Sen (Amartya), Thom (René), Thoreau (Henry David)