Pour Nausicaä

Nausicaä,

je réalise aujourd’hui que depuis plusieurs semaines j’ai emprunté ta voix dans le cours que je donne à l’Itech, cours qui lui-même suit à la trace les réflexions de René Passet, un économiste. Dans son domaine de compétence, il est un maître à mes yeux. Ce cours est donc sous le haut patronage de deux maîtres. Je suis vraiment heureux de suivre tes pas pour de multiples raisons.

En toi s’unissent de nombreux paradoxes.

Tu incarnes l’adolescence, ton corps n’est plus celui d’une enfant mais pas encore tout à fait celui d’une adulte, mais ton esprit est porteur d’une incroyable maturité. C’est souvent une qualité de l’adolescence de se poser et de vivre les questions déchirantes, les questions essentielles que chacun de nous rencontre dans sa vie, mais la plupart n’ont pas encore la maturité nécessaire pour les assumer. Tu es en cela tellement surprenante, la fraicheur d’un regard juvénile associée à une profondeur de compréhension qui plonge ses racines dans le silence d’où émergent les mots. Ce silence là, ce sont souvent les personnes âgées qui ont la patience de laisser tout mouvement s’apaiser pour qu’il se révèle.

Tu es la fille de Jill, roi du petit royaume de la Vallée du Vent. Tu es la dernière fille d’une fratrie dont tous les fils et filles sont morts avant toi. Une fille de roi qui s’exile de son royaume filial non pas pour le fuir, mais parce que tu sens que ton royaume est en fait l’intégralité de ce monde crépusculaire dont tu es prête à assumer toutes les contradictions, prête à accueillir les plus vils créatures. Les maîtres-vers, ce groupe considéré par les autres humains comme les plus proches du règne animal, deviennent tes dévoués, non par crainte, mais par admiration, tes qualités les inspirent. Tu peux vivre tes attributs royaux avec ceux dont l’aspect extérieur semble en être dépourvu. Dans ton sillage, chaque vie révèle toute la noblesse qui l’anime.

Ta force naît de ton courage à vivre sans compromis ta vulnérabilité. Une vulnérabilité immense où le vent t’apporte les cris de souffrance de ceux qui sont contraints à l’abandon de leur vie dans des guerres stupides alimentées par des motivations aveugles. Indestructible vulnérabilité qui continue à t’habiter même lorsque tu as partagé les secrets de la Terre et de son cycle d’épuration des poisons de l’ère industrielle. Toute l’énergie dont tu es porteuse, naît au coeur de ta vulnérabilité…

Si Jill ton père t’as transmis toute la noblesse de coeur et l’immense responsabilité de devenir, à sa suite, le guide du royaume de la Vallée du Vent, Maître Yupa est celui qui t’as appris lorsque la colère et la violence guide tes pas, à déchirer le voile de la fascination que tu pouvais ressentir à l’égard de ces deux émotions. Lorsqu’elles t’habitent, tu deviens une guerrière redoutable par tous les attributs que tu manifestes: ton agilité, ta rapidité, ta précision d’attaque. Si jeune, et petite encore… Tes ennemis commettent l’erreur de te sous-estimer, et ton art guerrier frappe net, chaque coup porté est impitoyable. Les combats sont brefs. Maître Yupa t’as appris à voir que l’amour est toujours l’émotion qui alimentent ta colère et que la violence est une apparence au service de cet élan. Ainsi tu incarnes la voie du guerrier de la paix, une guerrière non-violente, une compassion impitoyable, une virulente douceur dont le début de ton histoire conte l’apprentissage de cette voie paradoxale.

Tu es une princesse, une femme, mais tu arbores des qualités attribuées souvent à la gent masculine. Tu diriges des hommes, mieux tu les inspirent. Non par volonté de le faire, mais parce qu’ils reconnaissent en toi l’incarnation des qualités qui sommeillent en eux. Le pouvoir, si souvent confisqué par les hommes, tu leur ravis malgré toi. Certains te reconnaissent immédiatement, d’autres demeurent longtemps dubitatifs parce qu’ils ne comprennent pas tes comportements, tes choix. Le chemin que tu ouvres leur demeure fermé, comme s’il était trop empli de mystères pour s’y engager. Une femme intrépide est impressionnante…

Tu aime chaque vie comme un frère ou une soeur, mais tous les tiens ont disparu. Ta vie n’en est que plus précieuse et pourtant tu n’hésites pas à la risquer lorsque les circonstances t’imposent une conduite qui t’expose, conduite nécessaire pour préserver les valeurs qui t’animent. Tu traverses toute cette période troublée, dans un monde où les morts sont légions, en t’efforçant de sauver toute forme de vie.

Depuis le début de la rédaction du cours d’économie citoyenne, j’ai senti que si quelqu’un devait y participer en tant que citoyen, tu serais la personne la plus qualifier pour le faire. J’ai donc mis dans ta bouche les mots que ta vie, merveilleusement racontée par Hayao, m’inspirait. Ma sincérité habite chacune de tes paroles. J’espère être suffisamment transparent pour ne pas dénaturer ton esprit. J’espère accueillir suffisamment d’espace pour te donner toute l’amplitude qui caractérise tes actes.

Une amie m’a dit un jour que la réalité est un imaginaire qui a mieux réussi que les autres. Elle m’a également confié que la vie nous rêve. Te croiser dans ma réalité est une bénédiction Nausicaä. Que cette lettre soit également un profond hommage au gigantesque travail de partage qu’a entrepris Hayao Miyazaki en te permettant à travers son imagination de venir rencontrer tant de mes semblables.