Nous comprenons progressivement que puisque la sphère économique est un sous-système de la biosphère, c’est toute la science économique qui est pénétrée par elle. La biosphère étant caractérisée dans son fonctionnement par la logique de l’énergie et de l’information, il est alors sans doute possible d’appliquer cette logique à l’économie.
3.2.1/ La double dimension énergétique et informationnelle de l’acte économique
Nous savons depuis la loi d’équivalence d’Einstein que l’énergie est le dénominateur commun de toute matière, et donc de tout bien. Cette énergie se présente sous six formes:
- mécanique (ou travail),
- thermique (ou calorifique),
- électrique,
- chimique,
- nucléaire,
- rayonnante.
A chacune de ces formes correspond un état d’organisation différent de la matière.
La thermodynamique classique s’est constituée autour de deux lois:
- le principe de conservation (formulé par Von Mayer en 1842 puis généralisé par Joule) exprime l’équivalence entre les différentes formes de l’énergie;
- le principe de dégradation de l’énergie (formulé par Carnot en 1824 puis repris par Lord Kelvin et Clausius).
Toute activité économique met en œuvre de l’énergie. Tout bien matériel est exprimable en quantité d’énergie, toute force de travail est un potentiel énergétique, tout capital productif est le résultat d’un travail exprimable en unités énergétiques et tous les services fournis par le milieu se traduisent en termes énergétiques. Les premières sociétés humaines qui vivaient de cueillettes recueillaient les fruits du soleil. La sédentarisation représente la révolution du néolithique, le sol est utilisé comme convertisseur d’énergie solaire. La révolution industrielle en manipulant et en transformant de la matière, transforme aussi de l’énergie. Enfin les activités tertiaires tout en traitant et en fournissant de l’énergie alimentent aussi l’économie en informations. On peut remarquer que toute l’activité économique s’alimente autour de deux sources d’énergie:
- une source lui parvient sous forme de flux renouvelés;
- une autre sous forme de stocks qui se constituent selon différentes échelles de temps.
Pour que l’énergie soit utile à l’homme, il lui faut être transformé. C’est l’information qui assure cette transformation. La dimension informationnelle est productrice de néguentropie. En ce sens, l’économie est une activité néguentropique structurante qui incorpore de l’information-structure dans la matière. Pour ce faire, la transmission d’une connaissance codifiée intelligible est nécessaire. Par l’éducation, l’homme informe ses semblables, par le programme il informe les machines.
Néanmoins, l’économie tout comme le vivant ne peut échapper à la loi d’entropie. Georgescu-Roegen décrit très bien ce phénomène en soulignant qu’actuellement, le système économique puise dans des matériaux à basse entropie (donc hautement organisés) et le transforme en matériaux à haute entropie (donc faiblement structurés). Ce faisant, il réduit le champ des possibles pour les générations de demain. Cette tendance s’est développée lorsque l’homme a cessé de puiser dans le vivant pour asseoir les bases de son développement sur la matière inanimée, moins facilement recyclable. Seuls les écosystèmes en général et le système Gaïa en particulier «sait» entièrement recycler ses déchets en ressources réutilisables uniquement grâce aux apports de l’énergie dégagée par le soleil.
Le système Gaïa peut être analysé grâce à la notion de «destruction créatrice» (déjà utilisé par Schumpeter) qui synthétise les deux mouvements de destruction et de restructuration. Le phénomène de néguentropie correspond à la recherche d’efficacité et celui d’entropie à la nécessité de gérer au mieux notre patrimoine énergétique.
Ce cheminement m’a fait traverser des frontières, et j’ai réalisé que la vie se protège. Si nous sommes ses enfants, parfois turbulents, même si elle effectue des coupes sombres dans nos rangs, elle protège le patrimoine que nous représentons dans le domaine du vivant. Et ce patrimoine, bien souvent, les hommes que j’ai côtoyé n’est avait pas conscience. Ils ne voyaient pas l’essentiel dont ils étaient porteur. Penser l’économie comme une préservation d’un patrimoine naturel est beaucoup plus sain que de n’en avoir cure et de la laisser s’abîmer dans ses comportements les plus névrotiques à l’égard d’elle-même et de son environnement… Mais penser que l’homme est en mesure de gérer la nature, comme s’il pouvait la soumettre à sa volonté, est un leurre, l’homme ne peut que l’écouter, la comprendre et en fonction de sa réceptivité adopter des comportements animés de discernement et vivre ainsi en harmonie avec elle.»
Ainsi pour René Passet, l’essence de l’acte économique consiste à «gérer un patrimoine énergétique en vue:
- d’en assurer la reproduction et le développement dans le temps;
- de structurer grâce au travail, les flux énergétiques par de l’information afin de satisfaire, au moindre coût, aux impératifs individuels et sociaux de l’être».
3.2.2/ La double dimension énergétique et informationnelle du développement économique
Il entre plus d’énergie dans les écosystèmes que ne l’exige la simple reproduction de la vie. Ce surplus énergétique finit toujours par ressortir de l’écosystème de différentes façons: soit il est consommé de manière improductive ou détournée vers l’extérieur, soit il est utilisé pour augmenter quantitativement la taille du système (croissance), soit enfin il est utilisé pour diversifier et complexifier le système (processus de développement).
Pour rendre compte du rôle de l’énergie dans le développement économique on peut utiliser deux types d’approches. La relation énergie/PIB nous informe sur l’efficacité avec laquelle l’appareil productif utilise l’énergie pour fabriquer ses productions finales. Ce ratio nous informe que le sens de l’histoire est une forte baisse de l’intensité énergétique. Autrement dit, nous avons besoin de moins en moins d’énergie pour produire une unité d’output. Deux phénomènes se produisent au cours du temps:
- les nations développées apprennent à utiliser de mieux en mieux leur énergie;
- les pays en voie de développement bénéficient de leur expérience et consomment moins que les premières à développement égal.
Ainsi les scénarios prospectifs qui tiennent compte de cet apprentissage sont les plus intéressants. C’est le cas du scénario Goldenberg ou encore du scénario Noe.
L’histoire du développement est l’histoire de l’utilisation du surplus énergétique dont dispose le système économique après qu’il ait satisfait à la reproduction des ressources naturelles, matérielles et humaines. Dans les sociétés nomades ce surplus n’existait pas. C’est avec la domestication des forces animales et naturelles au néolithique qu’il commence à apparaître. La constitution de surplus agricole régulier a permis la division du travail et l’urbanisation qui apparaissent dès la Mésopotamie. L’industrialisation a nécessité, en plus de ce surplus agricole, des conditions techniques, économiques et sociales pour devenir possible. Le recours aux énergies fossiles a entraîné un changement d’échelle de ce surplus. Le charbon s’est par exemple substitué au bois très efficacement en Grande-Bretagne au moment où le capital forestier commençait à souffrir des prélèvements qu’il subissait. De même le coton a remplacé efficacement la laine, évitant la déperdition due au passage d’une niveau de la chaîne alimentaire à un autre. Malgré un surplus énorme, une grande partie est absorbée par la nécessité de concentrer l’appareil productif dans les grandes villes, ce qui implique des coûts de transport et une consommation d’énergie multipliée. Un cercle vicieux du développement se met alors en place.
Différents auteurs ont alors proposés des découpages chronologiques pour caractériser l’état d’avancement des sociétés.
Cette analyse du développement par l’utilisation des surplus (agricoles puis économiques) nous permet également de comprendre pourquoi malgré des ressources énergétiques importantes des pays demeurent sous-développés économiquement. En réalité, l’énergie par elle-même n’apporte rien, seuls les hommes et les conditions d’échanges internationaux permettent de convertir cette énergie en un surplus économique. Comme dans la nature, les systèmes plus mûrs captent les flux énergétiques des systèmes plus simples, les empêchant de décoller. D’autre part, le système étant un «ensemble finalisé d’éléments en interaction», toute décision concernant ses finalités ne peut être prise qu’en son sein. Le développement d’une nation implique donc non seulement une croissance complexifiante, mais également la maîtrise de ses propres finalités.
Il est possible d’interpréter l’apparition des techniques comme le prolongement naturel de l’évolution depuis l’apparition de l’univers, puis de notre planète jusqu’à celle de la vie. Tout ce passe comme si le développement des techniques participait d’un mouvement qui réduit sa base organique. Comme si l’évolution technique prenait le relais de l’évolution organique. Comme si chaque réalisation technique représentait l’équivalent biologique de l’apparition d’une espèce nouvelle.
En poursuivant cette analogie, de la même manière qu’au niveau biologique la transmission de l’information génétique est au cœur de l’évolution en tant qu’invariant de l’espèce, au niveau technologique, c’est la culture, c’est-à-dire l’accumulation et la transmission de savoir acquis dans des structures sociales aptes à les conserver, les enrichir et les transmettre qui prévaut. L’évolution est donc aussi un passage au social. Paradoxalement, plus la société se complexifie et s’enrichit et plus en retour elle a besoin, pour véhiculer et conserver cette masse d’informations, de puiser de l’énergie dans son environnement. Il semble qu’après une phase de croissance dominée par la domestication des forces thermodynamiques, la partie la plus avancée des sociétés développées entre dans une croissance dominée par l’informationnel. La production devient immatérielle. Si la machine à vapeur a symbolisé la révolution industrielle, l’ordinateur symbolise la société de l’information. L’émergence de l’information signifie d’abord des processus plus économes en énergie et en matière, et donc moins traumatisants pour l’environnement.
Après avoir passé différents seuils de développement, la société en vient inexorablement a se poser la question de son intégration dans la biosphère.